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La croisière Estuaire
Embarquement immédiat ! À bord du Saint-Vincent-de-Paul, un voyage de 55 km sur la Loire est proposé, en été, en partenariat avec le Voyage à Nantes. Cette croisière à la découverte du patrimoine naturel, culturel, historique et industriel permet de visiter l’estuaire entre Nantes et Saint-Nazaire. Je vous propose de naviguer ensemble pour dévoiler quelques aspects du fleuve.
Le Pellerin vu du fleuve
Une croisière à travers le temps
Des aménagements successifs ont façonné le paysage de l’estuaire. Dès l’époque gallo-romaine, Nantes mais également Rezé, dont les quais exceptionnellement conservés font l’objet d’un autre article (Le site archéologique Saint-Lupien), sont des ports. Au XIIe siècle, des moines de l’abbaye de Buzay, dont il ne reste aujourd’hui qu’une tour de 1755, aménagent les marais pour les cultiver. Des petits ports d’étier se forment peu à peu le long des berges. C’est le cas de Port-Lavigne, qui, comme son nom l’indique, était réputé pour le commerce du vin. Plus tard, des villages de pêcheurs s’installent sur les bords de Loire. Pour s’adapter aux crues, les constructions possèdent un ou deux étages.
Les maisons colorées de Paimbœuf
(Vous pouvez cliquer sur les images pour les voir en plein écran)
Traditionnellement, les pêcheurs utilisaient l’excédent de peinture de leur bateau pour peindre la façade de leur maison ; les habitations colorées de Trentemoult, Paimbœuf ou encore Basse-Indre en témoignent toujours aujourd’hui. Basse-Indre est toujours un port de pêche réputé pour la civelle (alevin de l’anguille). Comme son nom ne l’indique pas, il s’agit de la plus haute commune de l’estuaire !
Basse-Indre
L’ensablement de la Loire a été la cause de nombreux aménagements de l’Estuaire. L’avant-port principal de Nantes était Couëron au XVIe siècle, puis Paimbœuf au XVIIe siècle et enfin Saint-Nazaire, Donges et Montoir se sont développés au XIXe et surtout au XXe siècle. Le tirant d’eau du fleuve diminuant progressivement, de nombreux petits ports ont vu la berge s’éloigner, c’est le cas de l’ancien port de Lavau. Pour garder un lien avec le fleuve, les habitants ont décidé d’ajouter le suffixe « sur-Loire » au nom de leur village en 1820.
Lavau-sur-Loire
En 1892, le canal de la Martinière est construit afin de faciliter l’accès au fleuve. D’une profondeur de 5,8 mètres, il ne peut pas accueillir les premiers bateaux à vapeur d’un tirant d’eau de 6 à 7 mètres. Il est obsolète à peine 19 ans après sa mise en service. Aujourd’hui, il sert principalement de réserve d’eau douce pour les maraîchers.
Saviez-vous que Paimbœuf était la sous-préfecture du département avant Saint-Nazaire ? Témoins de cette richesse passée, l'ancienne sous-préfecture, actuellement occupée par la mairie, et l’église Saint-Louis se dressent face à la Loire. De style néo-byzantin, le plan de l’église avait été présenté pour le concours de la butte Montmartre, remporté par le Sacré-Cœur ; les architectes nantais, Lucien et Ludovic Douillard, ont été sollicités pour construire un modèle réduit de leur projet à Paimbœuf. L’église Saint-Louis, achevée en 1913, est classée Monument historique depuis 2006. Avant-port principal de Nantes au XVIIIe siècle, Paimbœuf perd son statut de sous-préfecture en 1926, au profit de Saint-Nazaire.
À gauche, l'église Saint-Louis de style néo-byzantin et à droite la mairie de Paimbœuf
Les guerres ont également fortement influencé le paysage de l’Estuaire. En 1944, les Allemands coulent neuf navires afin de bloquer l’accès des Alliés à Nantes. L’épave de l’Antarktis n’ayant pas pu être retirée après la guerre, c’est le cours même de la Loire qui a dû être dévié.
Les mâts de l'Antarktis
Une croisière à travers des espaces naturels
Le paysage de l’Estuaire est principalement constitué de marais, de vasières, de prairies salées et de roselières. Il s’agit de la deuxième zone humide de France selon la superficie, après celle de la Camargue. Certains lui donnent même le titre de « monument écologique ».
Le paysage de l'estuaire de la Loire : vasières... par lefildecultureSur 500 espèces d’oiseaux recensées en France, 250 sont présentes sur les bords de Loire. Au cours de la croisière, vous pourrez observer hérons cendrés, aigrettes garzette, cormorans, canards colvert, cigognes et oiseaux limicoles au long bec recourbé.
Un héron et un cormoran sur d'anciens ducs d'Albe
Certains espaces constituent d’importantes réserves ornithologiques. C’est le cas du marais Audubon, aux abords de Couëron. Il porte le nom du célèbre ornithologue Jean-Jacques Audubon qui a passé son enfance à Nantes et à Couëron avant de rejoindre l’Amérique, où il est connu pour ses aquarelles très précises d’oiseaux. À proximité de Donges, le banc de Bilho, agrandi par l’apport de sable des creusements pour construire le terminal méthanier, accueille également un grand nombre d’espèces, dont l’ibis sacré.
Le marais Audubon
La flore de l’Estuaire est particulièrement diverse. On dénombre 700 espèces de plantes. L’angélique des Estuaires est l’espèce endémique symbolique de la Loire. Elle n’existe qu’en France et fleurit en ombelles en juin.
Le creusement de la Loire afin de permettre l’accès des bateaux au port de Nantes n’est pas sans conséquences sur l’environnement. Phénomènes naturels dus à la rencontre des eaux douces et des eaux salées, les bouchons de vase sont amplifiés. Ils contiennent une forte dose de polluants et ils asphyxient les poissons.
L’Estuaire à travers ses industries
La situation privilégiée de ce territoire en fait le quatrième port de France avec 35 millions de tonnes de marchandises qui y circulent par an. De Nantes à Saint-Nazaire, le paysage oscille entre nature et industries.
Dès notre départ de l’île de Nantes, les deux grues Titan témoignent du passé industriel du site. La grise est classée monument historique depuis 2005.
La grue Titan jaune avec en arrière plan le Carrousel des Mondes Marins
Les anciens Chantiers Dubigeon à Chantenay sont très célèbres pour avoir construit le Belem, parti en 1896. Aujourd’hui, il n’en reste que la « grue à la jambe en l’air ».
La « grue à la jambe en l’air » des anciens Chantiers Dubigeon
Un grand réaménagement est prévu pour le quartier Bas-Chantenay. Cette friche industrielle fait l’objet d’un projet urbain comprenant habitations, entreprises et loisirs. L’ancienne rizerie accueille une partie des locaux de la compagnie Royal de Luxe.
Le site de Cheviré est réputé pour son terminal bois mais aussi pour son pont construit en 1991 de 54 mètres de tirant d’air et de 1,5 kilomètres de long. La partie centrale située entre les deux pylônes, le tablier, a été remonté par barges de Saint-Nazaire puis gruté du fleuve.
Le pont de Cheviré
Deux bacs amphidromes (avec l’avant et l’arrière identiques), Lola (en hommage au cinéaste Jacques Demy) à Basse-Indre et L’Ile Dumet (du nom de la seule île de Loire-Atlantique) au Pellerin, permettent de traverser la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire.
La DCNS d’Indret correspond au site de l’ancienne Manufacture royale de canons. En 1828, elle devient un chantier de machines à vapeur pour la Marine. Aujourd’hui, elle intervient dans la construction de navires armés mais aussi dans les énergies renouvelables, notamment pour le projet éolien offshore développé avec STX. Son portique de 1000 tonnes a servi pour la construction du porte-avions Charles de Gaulle.
La DCNS
L’entreprise Arcelor Mittal de transformation de bobines d’acier correspond au site des anciennes forges de Basse-Indre. Des boîtes de conserve y sont fabriquées. On attribue à Nantes l’invention des boîtes de sardines à ouverture facile.
L’usine Arc-en-ciel de Couëron est spécialisée dans le traitement des déchets. Vos sacs jaunes, si vous faites partie de l’agglomération nantaise, y sont triés à l’aide de robots. Le système de tri optique employé est à la pointe de la technologie européenne. Un incinérateur intégré permet de créer de l’électricité pour 800 000 habitants. Ce sont 200 000 tonnes de déchets par an qui y circulent.
L'usine Arc-en-ciel de traitement des déchets à Couëron
La Tour à plomb de Couëron, du haut de ses 69 mètres, était utilisée pour fabriquer la grenaille de plomb pour la chasse au XIXe siècle. La qualité des plombs résidait dans la technique employée : le plomb en fusion était jeté du haut de la tour afin de former une sphère parfaite dans sa chute avant d’atterrir dans un bac de refroidissement. Classée monument historique, la tour accueille aujourd’hui un pôle culturel et associatif, composé notamment d’une médiathèque. Jusqu’au 31 août, vous pourrez y voir l’exposition Bestiaire inadapté de l’artiste pornichetain Jean Bonichon.
La Tour à plomb de Couëron
La Centrale électrique de Cordemais est une centrale thermique à flammes. D’une puissance de 2600 mégawatts, elle peut alimenter 2 millions de foyers. La plus grande cheminée, de 220 mètres de haut, construite en 1990, permet d’éliminer le soufre. Fonctionnant au charbon, la centrale produit des déchets de gypse , un dépôt qui est utilisé ensuite dans la fabrication du ciment. Les barges apportant le charbon sont déchargées sous des portiques à roue caractéristiques : les roubelles.
La centrale électrique de Cordemais
La barge Ligérienne 4 sous une roubelle
Sur l’île de Carnet, une éolienne test de 174 mètres de haut, destinée à être installée en mer, produit 6 mégawatts d’électricité. Érigée par Alstom, elle porte le joli nom d’Haliade 150, en référence aux nymphes marines grecques. Plusieurs parcs éoliens seront implantés au large si la phase de test est concluante et une usine de construction de ces gigantesques machines devrait voir le jour à Saint-Nazaire.
L'éolienne Haliade 150 sur l'île de Carnet en... par lefildecultureLa raffinerie de Donges, du groupe Total SA, est la deuxième de France après celle de Normandie. Onze millions de tonnes de pétrole y transitent chaque année. Elle correspond à elle-seule à 40 % de l’activité du Port autonome Nantes-Saint-Nazaire.
La raffinerie de Donges
Le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne a la particularité de pouvoir accueillir deux méthaniers en même temps grâce à ses deux appontements. En 2012, il avait le record mondial du nombre de méthaniers accostés : 100 bateaux y ont transité, ce qui correspond au quart de la flotte mondiale de méthaniers. La technique de stockage du méthane à -163°C dans les trois grandes cuves a été inventée à Nantes. Ainsi, le gaz occupe 600 fois moins de volume.
Le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne
Montoir-de-Bretagne possède également un terminal charbonnier, un terminal de produits liquides, un terminal multi-vrac, un terminal de conteneurs, un terminal sablier et un terminal roulier que je ne détaillerai pas ici.
Les grues « girafes » du terminal des conteneurs
Les Chantiers STX de Saint-Nazaire sont actuellement l’objet d’une polémique autour de la construction de deux porte-hélicoptères pour la Marine russe, de 200 mètres de long chacun. La prochaine commande est un paquebot géant, Oasis of the sea 3, qui fera 365 mètres de long. Il sera le plus grand jamais construit à Saint-Nazaire. Puis dès 2018, son jumeau Oasis of the sea 4 le suivra.
Les Chantiers STX de Saint-Nazaire lors de la construction des deux porte-hélicoptères
Avant d’arriver à Saint-Nazaire, le Pont nous surplombe de ses 3300 mètres de long et de ses 62 mètres de tirant d’air. Il était le plus long pont à haubans d’Europe, lors de sa construction en 1975. Autrefois, le bac de Mindin assurait la liaison Saint-Nazaire-Saint-Brévin.
Le pont de Saint-Nazaire
Les œuvres Estuaire
Dès 2004, Jean Blaise, alors directeur du Lieu Unique, décide de créer un musée à ciel ouvert pour mettre en valeur le paysage de l’estuaire de la Loire. En 2007, 2009 et 2012, des œuvres sont créées pour la biennale Estuaire. Aujourd’hui, 29 œuvres pérennes sont conservées. Une dizaine d’entre elles sont visibles du fleuve mais je n’en ai sélectionné que quelques-unes ; les plus visibles. Vous retrouverez les autres dans d’autres articles un peu plus tard.
Le pendule de Roman Signer, est installé sur les vestiges de l’ancienne centrale à béton de Trentemoult à Rezé. Il bat le temps comme pour rappeler le passé du lieu. Le sable de la Loire était transformé en béton qui servait ensuite à la fabrication de ponts, notamment celui de Cheviré. Cette œuvre est plus percutante vue de la Loire car le cours du fleuve entre en résonance avec le battement du pendule. Très controversée lors de son installation, elle ne laisse pas indifférent. Aimée ou détestée, elle est très représentative de l’univers poétique de l’artiste suisse Roman Signer, qui a été l’objet d’une exposition à la HAB Galerie en 2012, avant Felice Varini en 2013 et Huang Yong Ping cette année.
Le pendule de Roman Signer à Trentemoult (Rezé... par lefildecultureÀ Port-Lavigne, des animaux « colonisent les arbres » : un ourson et sa mère, un jaguar et des singes sont figés dans une posture de leur quotidien. L’artiste Sarah Sze a été saisie par l’aspect sauvage du lieu qu’elle a voulu retranscrire dans son œuvre intitulée The Settlers (Les Colons) qui est également l’occasion d’une belle balade sur ces rives de Bouguenais.
The Settlers de Sarah Sze à Port-Lavigne
The Settlers (Les Colons) de Sarah Sze à Port... par lefildecultureTel un animal inquiétant, un tuyau rouge de 40 mètres de long se dresse sur la berge à Indret. Avec cette Serpentine rouge, Jimmie Durham, artiste d’origine amérindienne, interroge le visiteur sur l’évolution du site, de nature sauvage à paysage industriel. La notion de passage, ici entre passé et modernité, est toujours très présente dans ses œuvres.
Serpentine rouge de Jimmie Durham à Indret
La Maison dans la Loire est la réplique de la Maison du port à Lavau-sur-Loire. Jean-Luc Courcoult, fondateur de la compagnie Royal de Luxe, en est le créateur. Au contraire de la Maison du port qui a vu les rives de la Loire s’éloigner, la Maison dans la Loire a les pieds dans l’eau, plus ou moins en profondeur en fonction des marées.
La Maison dans la Loire de Jean-Luc Courcoult à Couëron
Un étrange petit bateau semble vouloir se jeter à l’eau. Fuit-il le canal de la Martinière, ancien cimetière à bateaux, où les voiliers étaient autrefois démantelés ? Est-il seulement pressé de rejoindre la Loire et les autres bateaux colorés qui y circulent ? Cette œuvre intitulée Misconceivable (mot inventé par l’artiste pouvant être traduit par "méconcevable") d’Erwin Wurm raconte l’histoire du fleuve et joue avec notre imagination.
Misconceivable d'Erwin Wurm au Pellerin
La Villa Cheminée de Tatzu Nishi fait écho à la centrale électrique de Cordemais, en jouant avec les perspectives et le paysage environnant. Le petit pavillon, perché sur une tour de 15 mètres de haut, peut être loué.
La Villa Cheminée de Tatzu Nishi à Cordemais
Le Saint-Vincent de Paul arrivant à Saint-Nazaire
Nous sommes arrivés au port, tout le monde descend ! J’espère que vous avez apprécié cette croisière et que vous en avez appris un peu plus sur l’estuaire de la Loire. Profitez de cet accostage à Saint-Nazaire pour relire l’article sur Jeppe Hein si vous le souhaitez. Je vous proposerai prochainement un premier bilan du Voyage à Nantes 2014 qui s’achève bientôt : le 31 août.
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